Calais-la-Libre ou le rêve de Parleur
Dans la Coupole du CNRS, CedOrion parle à LadyeC’était il y a longtemps, je me souviens maintenant, Ladye.
En ce temps là, il y avait la Ville. Une Ville dans le Royaume.
Le Royaume était aux mains des Nobles, du Dogme, de la Guilde, du Comte, et tous se battaient pour avoir un peu plus de pouvoir. Stratégies, trahisons et manœuvres. Pour le pouvoir.
Les Hommes, eux, ceux qui vivaient dans la Ville n’étaient que de la main d’œuvre bon marché, que l’on pouvait affamer à volonté pourvu qu’elle rapporte sa dîme.
Ainsi vivaient ceux de la Colline, pauvres parmi les pauvres, avec pour seule consolation leur sentiment de faire partie d’une unité. La Colline était fière d’être la Colline.
Puis il y a eu ce poète, Karel. Agitateur, rêveur, mouche du coche. Mais c’était trop tôt, trop neuf, trop immature. Karel a été assassiné. Non pas emprisonné et jugé. Assassiné.
La Colline est retombée dans sa torpeur.
Puis il y a eu cet inconnu. Les gens de la Colline l’ont appelé Parleur tant il savait bien parler et réciter les œuvres de Karel.
Mais Parleur était plus qu’un simple ménestrel adepte de Karel. Parleur était le dépositaire de son rêve.
Puis il y a eu cette année là. Cette année de famine. Les gens de la Citadelle affamaient le peuple encore plus, soucieux qu’ils étaient de récolter de quoi passer l’hivers. Dussent-ils faire mourir de faim les gens de la Colline.
Alors, dans cette Taverne où les gens de la Colline se réunissaient pour noyer leur pauvreté dans de la mauvaise bière, un petit groupe a commencé à discuter. Et Parleur parlait.
Il parlait du rêve de Karel, de la Colline, de comment se nourrir, comment ne pas donner toutes les récoltes à ceux de la Citadelle.
Il parlait de comment les gens de la Colline pouvaient d’unir, mettre leurs biens en commun, pour passer l’hiver et résister aux impôts. Il parlait de fermeture à l’extérieur pour mieux survivre. Il parlait d’ouvrir des voies et des alliances avec ceux des Marais, les pêcheurs et les autres à l’extérieur de la Citadelle. Il parlait d’échanges, de donnant donnant, de bien commun supérieur au bien individuel.
Il parlait et ceux de la Colline l’écoutaient. Et rêvaient. Et pensaient.
Puis un, et deux, et trois se sont levés. Puis un, et deux, et trois ont ajouté leurs propositions.
Puis ce fut une dizaine, puis enfin tout le groupe.
Puis les gens le la Colline se sont tous réunis sur la place du marché pour en discuter.
Puis il a été décidé de fermer la colline à ceux de la Citadelle (c’était facile, il suffisait de fermer quelques rues sur les Pentes) pour ouvrir vers l’intérieur des terres, et instaurer une économie parallèle à celle de la Citadelle.
L’Hiver passa. Il y eu bien quelques morts, quelques personnes qui essayaient de profiter de la situation, quelques tentatives de la Citadelle de rompre la dynamique de la Colline. Mais c’était tellement nouveau, tellement inattendu que le projet a réussi, et l’hiver a passé. Et la Colline a survécu à la Famine et à l’Hiver. Et les choses ont repris leur cours au printemps.
Repris leur cours, ma Ladye, enfin presque, parce que sur la Colline, l’idée avait germée qu’on n’était pas obligé d’obéir à la Citadelle. Et parce que dans le Royaume, la rumeur avait colporté l’exploit de la Colline. Et parce que le pouvoir a pris peur.
Alors sur les années qui suivent, vexations, resserrement, impôts de plus en plus lourds et injustes. Tout pour affaiblir la Colline.
Alors Parleur et ses compagnons ont discuté, réfléchi et proposés l’insensé.
L’insensé, c’était de fermer la Colline. Vivre en autarcie. Interdire à la Citadelle l’accès. Et développer un gouvernement et une économie interne.
Le rêve a marché, Ladye belle. La Colline a eu un gouvernement élu (pas comme à Calais, où le Conseil est auto proclamé, c’est la différence avec le rêve de Karel). La Colline a eu une monnaie. La Colline a eu une économie avec les autres parias du Royaume. La Colline était connue comme une enclave libérée.
Trop connue.
Le pouvoir ne pouvait pas laisser faire. Trop tôt. Trop novateur. Trop beau. Trop idéaliste.
Alors la Citadelle et le Royaume ont déroulé la machine de guerre. Et la Colline a tenu … enfin quelques semaines.
Mais quand les portes sont tombées, ma Ladye belle, même toi, Amazone rompue au combat, n’aurait pas aimé être là. Femmes, enfants, vieillards, tout le monde a été tué. Le mot d’ordre était éradication.
Voilà, ma Ladye, l’histoire issue du rêve d’un poète qui a eu le malheur de naître trop tôt.
La légende a retenu quelques noms.
Il y avait Parleur.
Karel.
Une guerrière ressemblant étrangement à une Amazone que je connais, que l’on appelait La Mante, et qui a déposé les armes pour suivre Parleur. Elle est morte quelques temps après lui. Oh, deux ou trois minutes à peine.
Il y avait aussi le nom de la Taverne, les Enselvains.
Vini, une des seuls rescapés, qui a joué un rôle d’ombre dans l’histoire, gérant l’économie de la Colline de son alcôve des Enselvains. C’est elle qui a pu raconter l’histoire. Est-ce la même Vini que celle qui trône dans les Enselvains de Calais ? Je ne sais.
Karel est mort, Parleur est mort, La Mante et tous les compagnons de la Colline sont morts.
Mais les rêves sont plus difficiles à tuer que les Hommes. L’idée a survécu. Les belles idées survivent toujours et renaissent à droite à gauche.
Et Calais-la-libre existe bel et bien, avec sa taverne et ses personnages de l’ombre. Héritage du rêve d’un poète.
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Merci à Ayendhal pour son magnifique livre
"Parleur ou les Chroniques d'un Rêve Enclavé"